VOYAGE. Le mot « voyage » s’articule autour d’un g et d’un y, formes délicates et souples, pourvues d’embonpoints aptes à lui faire endosser beaucoup de vicissitudes. Voyage rythme aussi avec Nuage, deux tournures légères et intemporelles qui flottent de concert par dessus le monde.
Ce n’est pas le cas de touriste. Touriste est plus incisif, plus précis, plus pressé. Il abat ses t à répétition comme s’ils sortaient d’une mitraillette. TourisTe, TourisTe, TourisTe… Et la mitraillette déverse les touristes de par le monde, indéfiniment réplicables comme l’est un T d’un autre T, une cartouche d’une autre cartouche.
Il me semblait que j’étais plus voyageur que touriste, mais là, il s’agissait de rassurer le natif qui m’interrogeait sur la nature de ma présence sur sa terre. Il ne pouvait pas envisager que l’on se déplace jusque chez lui pour rien, enfin, rien qui ne soit concret, matériel, palpable. Voyager lui aurait paru trop abstrait. Il me fallait trouver un autre mobile. Croyant donner plus de consistance à ma démarche, je lui dis que j’étais touriste. En disant cela, je compris que le mot touriste n’existait pas dans son vocabulaire, pas plus que le mot voyage.
Il me regarda comme s’il cherchait un complément d’information sur ma figure, puis il me demanda :
– Les touristes, qui c’est qui les paye ?
J’étais désemparé.
Il insista :
– C’est le gouvernement qui les paye les touristes dans ton pays ?
N’étant pas parvenu à endosser l’habit de touriste ou de voyageur, il ne me restait plus, à ses yeux, que celui de l’espion.